La tentation de Clarisse, roman
EAN13
9782221103593
ISBN
978-2-221-10359-3
Éditeur
Robert Laffont
Date de publication
Nombre de pages
234
Dimensions
21,9 x 14 x 2 cm
Poids
306 g
Langue
français
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La tentation de Clarisse

roman

De

Robert Laffont

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Quarante-huit heures d'aventure intense et d'émotion pure.
La nuit a conquis la montagne. Une faible luminescence demeure, prolongeant les à-pics, avivant les arêtes, creusant les ravins. Pour la première fois depuis le départ de Montfranc, elles ont une chance de se fondre au vide et de s'échapper. Une légèreté les gagne, comme une ivresse. Tout semble de nouveau possible.Soudain, dans un virage à cinq cents mètres, elles devinent la masse sombre de plusieurs voitures en travers de la chaussée. Elles ne disent rien. Elles ont compris.Katia ralentit et s'arrête. Clarisse est blême. Elle n'a plus envie d'exhorter Katia à se rendre. Elle regrette de l'avoir fait.? Ils nous ont suivies..., murmure Katia.Clarisse ne répond pas. Son coeur bat très vite. La plénitude de la nuit leur parvient par les vitres baissées. Devant elles, un déval immense, à perte de vue, des pentes d'estive sans trace d'occupation humaine. Katia se tourne vers Clarisse. Son regard exprime ce genre d'émotion qui précède les adieux.? On s'amuse bien ensemble, pas vrai?? C'est la première fois que je m'amuse autant, répond Clarisse, la gorge nouée.La faible lumière venue du ciel, où pourrissent les étoiles, éclaire le profil de Katia. C'est bien sa marque que d'être resplendissante dans les moments tragiques. En même temps qu'elle le contemple, Clarisse comprend que, quoi qu'il advienne, le souvenir de ce visage ne la quittera jamais. Il accompagnera ses nuits, ses jours et tout le temps qui n'est ni la nuit ni le jour.? On va passer, n'est-ce pas?C'est Clarisse qui a parlé.? Bien sûr...? Ils ne vont pas nous empêcher de rejoindre Medvéditskaïa !? Qui pourrait nous empêcher?Chaque mot leur arrache un lambeau de chair.? Ça ne fait rien, dit Katia. Ils sont tout de même forts.? Parce que nous le sommes, dit Clarisse. Pour une belle chasse, il faut un beau gibier.? Tu peux encore descendre, dit Katia.Clarisse ne répond pas.Katia pose la main sur la crosse de son automatique. Clarisse entend le cran de sûreté qui glisse.? Je voulais te dire...? Que voulais-tu me dire, Clarisse?La voix est grave et tendre comme pourrait l'être celle d'une maîtresse. Clarisse sait que Katia est le seul être sur cette terre qui peut entendre ce qu'elle a à dire, que cet instant ne se reproduira jamais plus. Et l'on aura beau prétendre plus tard que Katia l'a prise en otage et l'a forcée, tous ces mensonges dans le prolongement d'une éducation qui ne lui a enseigné que la méfiance et la haine, elle n'en croira rien.Brusquement, les gyrophares incendient la nuit de leurs étincelles d'arc électrique. Katia fait rugir le moteur comme elle éperonnerait une monture. Elle enclenche la marche arrière et recule. À fond. Les voitures de police démarrent. Katia s'est dégagée de son demi-tour et repart dans un hurlement de moteur et une odeur de gomme brûlée. Dans le rétroviseur, Clarisse voit briller les feux. La meute est à leurs trousses.? Accroche-toi!La voiture bondit dans les virages, toujours aux limites du dérapage. Chaque tournant est une loterie. Le vide les accompagne, prêt à les engloutir. Mais Katia se maintient en équilibre, funambule, négocie avec les lois de la dynamique, tergiverse avec la pesanteur. Conduire ainsi est un don.Moins d'un kilomètre plus loin, à un croisement, elles aperçoivent d'autres gyrophares qui convergent vers elles. La charge, dans l'immensité des pentes désertiques, dégage une puissance hallucinante. Elles n'ont pas le choix et prennent à gauche dans le sens de la montée. Quelques minutes encore, elles gardent l'illusion d'échapper à leurs poursuivants lorsqu'elles découvrent d'autres véhicules barrant la route. C'est fini. De la tristesse s'empare de Clarisse. Tristesse est le mot le plus juste pour désigner ce qu'elle éprouve. Ni violence ni colère. Une infinie tristesse.Au lieu de ralentir, Katia fonce. Elle a passé le bras à la portière et Clarisse voit l'automatique qui brille à son poing. Une gerbe de feu sort de sa main. Le moteur hurle. Des silhouettes dans les phares se jettent par côté. Des tirs retentissent dans la nuit, Clarisse est entourée d'un essaim d'abeilles incandescentes qui cherchent à butiner sa chair. Elle ne crie pas. Son silence est sa dernière volonté. S'il ne reste de son existence qu'une chose dont elle est fière, une seule action accomplie en pleine conscience, qu'il s'agisse alors de son mutisme au coeur de la fusillade. Le seul acte vraiment volontaire de sa vie.Le bras de Katia se relève chaque fois qu'elle presse la détente. La voiture franchit en force le barrage. Mais bien vite, elle se met à tanguer. Katia a repris le volant à deux mains. Elle ne peut empêcher la japonaise de quitter la route et de dévaler la pente en contrebas. Ce n'est que de la montagne à vache, et le véhicule glisse. Longtemps. Loin derrière, des cris, des ordres. Depuis le parapet, des projecteurs fouillent le versant. La voiture s'immobilise enfin, comme un navire qui touche le fond. Clarisse ouvre la portière et s'écarte. Elle est prête à courir pour fuir, il lui reste des forces. Katia est demeurée sur son siège.Clarisse s'approche. Katia garde les mains sur le haut du volant, la tête immobile. Il n'y a que ses yeux qui bougent, qui suivent Clarisse. Son visage est calme, c'est celui d'une femme concentrée sur quelque chose qui lui tient intimement à coeur. Ses yeux brillent mais sans l'éclat tranchant qui ne les abandonnait jamais. Clarisse pose la main sur la poignée de la portière et l'ouvre lentement. Une odeur âcre lui parvient, qui a chassé ce parfum de miel et de lait qui l'avait tant troublée.Katia lève le front et la fixe intensément. Elle veut parler mais les mots restent prisonniers de ses lèvres. L'ombre d'un nuage passe sur ses traits livides. Son regard n'est plus qu'un miroitement posé sur un sable blanc.Clarisse se penche et la presse sur sa poitrine. Derrière elle, très loin, elle entend la course des hommes qui convergent. Katia s'affale dans ses bras, sa tête tombe sur son épaule comme si elle n'était plus retenue à son corps. Leurs visages sont l'un contre l'autre dans une proximité que Clarisse ne croyait pas pouvoir atteindre. Elle la tire hors de sa voiture, l'adosse à la tôle.? Tiens bon, Katia... Je t'en supplie.Sa nuque retombe comme celle d'un oiseau mort. Clarisse la redresse en la prenant doucement dans ses mains.? Nous sommes rendues, Katia. Ne lâche pas. Regarde, là-bas c'est Medvéditskaïa...Elle tend le bras en direction de l'est, du vide. Des cris parviennent dans la descente. Ils se rapprochent.? Nous avons réussi Katia. Je te le jure! Nous sommes à Medvéditskaïa. Feodorovitch t'attend sur l'embarcadère au bord du fleuve. Regarde-le, là-bas. Il te fait signe. Il t'attend...La tête de Katia est rejetée en arrière, vers le ciel.? Résiste, Katia. Je t'en prie! Ne me laisse pas.Katia glisse doucement. Une odeur de sang chaud monte de son ventre. Ses lèvres s'entrouvrent:? S'il te plaît...La voix n'est déjà plus tout à fait humaine.Un souffle sur le visage que la douleur ne parvient pas à enlaidir. Et ces mots à peine murmurés:? Embrasse-moi.Clarisse pose ses lèvres sur les lèvres tièdes.Les policiers encerclent la voiture transpercée de balles et les découvrent ainsi. Clarisse de dos, dans sa veste sombre, agenouillée. Ailleurs.
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