Justice à tous les étages
EAN13
9782809800272
ISBN
978-2-8098-0027-2
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
252 g
Langue
français
Code dewey
849
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Justice à tous les étages

De

Archipel

Roman français

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DU MÊME AUTEUR

Accusé, couchez-vous, « Série noire », Gallimard, 2001.

Un juge s'en va, L'Archipel, 2005.

Je ne parle pas aux femmes, L'Écailler du Sud, 2006.

Plaidoyer pour le mensonge, Denoël, 2006.

Les Sales Dessous de Dame Justice, avec Frédéric Mazé, Regain de lecture, 2007.

www.editionsarchipel.com

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34, rue des Bourdonnais 75001 Paris.
Et, pour le Canada, à
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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-1102-5

Copyright © L'Archipel, 2008.

Aux victimes du système
et, en tout premier lieu, aux juges

1

Les murs n'ont pas seulement des oreilles : aussi des yeux. Je le sais, je suis une bâtisse. Une construction ancienne. Par ici, l'on m'appelle logis seigneurial, ou manoir... Érigé au XVIIIe siècle sur les ruines d'un castel – mon aïeul –, j'écoute et observe, à l'intérieur comme aux abords, dans mon antre et alentour. Je vois malgré moi les humains qui grouillent, la ville en expansion, la nature en récession. J'en suis l'immuable témoin, figé dans ma peau de pierre... De bien belles pierres, d'ailleurs, coquettement disposées. Certaines parts de moi sont en brique faites à la mode d'ici, du temps où l'on séchait l'argile au soleil. Mais, pour l'essentiel, je suis de tuffeau taillé, en blocs élégamment agencés. L'architecture me passionne – comme, je le suppose, l'anatomie plaît aux humains. Des colonnes engagées ornent ma façade. Dans l'entre-colonnade, une porte monumentale ouvre sur un atrium. Mais ma fierté tient dans les détails : ces feuilles d'acanthe qui donnent un air corinthien à mes chapiteaux, par exemple, juste au-dessus des astragales surplombant les cannelures des fûts... Et ces arcatures, et ces chantepleures, et ces antéfixes ... Tout en haut, sur mon toit, un étui de faîtage protégé d'un ornement autrefois en céramique, aujourd'hui cuivré, prend au crépuscule des allures de pinacle d'église... D'ailleurs, ma première vocation fut religieuse. C'était il y a longtemps... En décembre 1788. À la fin de mon édification, les sœurs du mont Carmel battaient des mains. L'évêque avait donné son accord, l'acte était signé. Les carm élites avaient enfin leur couvent. Elles allaient pouvoir investir mes murs, fouler le marbre sous ma verrière, et fleurir mes encorbellements de géraniums aux pétales colorés. Ce qu'elles firent doucement, en sourire et en silence. Je percevais à peine leurs chuchotements sous leurs pas légers qui, au glas des offices, rythmaient mes premiers jours. Mais cette paix fut de courte durée... Le 2 novembre suivant, la nation décrétait la confiscation des biens ecclésiastiques. Moi y compris. Les sœurs tentèrent de résister pacifiquement, par l'inertie. Sans ménagement, les soldats les chass èrent. En bataille peu rangée. Les sœurs caquetaient, cornettes en bataille, poussées au-dehors du bâton ou de la baïonnette. L'une cassa sa clavicule contre une saillie de porphyre. Un crucifix fut brisé, un chapelet piétin é. Aucune n'eut loisir d'emporter même la plus légère malle. La démocratie fit en moi une entrée fracassante. Alors, de couvent, j'ai été promu palais. Palais de justice. Toute la pompe républicaine tient dans cette appellation: palais de justice. Parce que, pour le reste... Depuis le temps que j'abrite les juges, les procureurs, leurs greffiers, et les avocats... Que je note leurs gesticulations, leurs effets de manche... J'en connais sur eux, de quoi écrire un livre entier. Le voici, d'ailleurs. L'action se déroule à Bénipurain, chef-lieu de la Haute-Clairette, quarante mille âmes environ, et un palais de justice : moi. Mes nouveaux occupants m'ont vite divisé par étages. En rajoutant des planchers. Ils m'ont cloisonné, rehaussé – Dieu que ça fait mal, le rehaussement de toiture... comme l'impression d'être scalpé. Au rez-de-chauss ée, c'est crimes, meurtres, viols et actes de barbarie. Le sol est en marbre. Des ogres menottés, flanqués d'escortes de gendarmerie, y croisent des fillettes en pleurs – leurs victimes. Le hall d'entrée donne sur les cabinets des juges d'instruction. On y évoque les faits divers croustillants, agressions sexuelles, bagarres mortelles de bal. Parfois crépitent les flashs des photographes qui « shootent » l'inculpé quittant le palais avec sa veste renversée sur la tête. Pourtant, c'est là qu'ils ont placé une banque d'accueil du public... Histoire de terrifier les visiteurs, sans doute. Aussi ne me pénètre-t-on jamais sans frisson, qu'on soit victime ou coupable. D'ailleurs, mon impression? Les humains se sentent immanquablement à la fois victimes et coupables. Ça les travaille tant... Le premier étage résonne des cris des mères à qui l'on arrache leurs gosses. Ici, les juges des enfants emplissent foyers et familles d'accueil en soulageant les bas quartiers de leurs gamins aux yeux tristes. Ici, des adolescents ont besoin d'avocats commis d'office, guère plus âgés qu'eux. Ici, aujourd'hui, j'entends deux jeunes avocats plaisanter :

— Connais-tu la différence entre une assistante sociale et un pitbull ?

L'autre fait non de la tête.

— Le pitbull, lui au moins, te rend l'enfant !

Je déteste espionner mon premier étage. Foncièrement sinistre... Au second, moquette. Cabinet du président. Plafond à voûte en arc cintré. Puis le couloir des divorces. Vous dites à présent le « couloir des juges aux affaires familiales »... Où se joue le « bal des cocus », en jargon d'avocat. J'y perçois ce genre de scène : le frais émoulu ex-mari danse d'un pied sur l'autre devant son ex-femme, à l'aplomb de l'ascenseur. Ils sortent tout juste de l'audience. Passe un ange, suivi de robes noires d'avocats en retard. L'homme dit:

— Nous voilà divorcés, ma Corinne...

— Oui, souffle-t-elle, tendue.

— Tu... tu as le temps de boire un café, Corinne ?

— ... Heu... Pourquoi pas?

... Si seulement il l'avait proposé plus tôt, durant leurs treize années de mariage. Dans vos vies d'homme se perdent quelques occasions de se taire, et pas mal d'occasions de parler, semble-t-il. L'étage supérieur. Atmosphère feutr ée, en dépit de l'incessant clavardage des ordinateurs et du crépitement des imprimantes. Cabinet de « monsieur le procureur », et ses services – en réalité deux substituts et quatre greffières harassées de travail. Ici, l'on turbine. Logique binaire : au matin, une pile de papiers encombre la partie gauche de leurs bureaux. À droite attend une panière. Au soir, quand tout va bien, c'est vide à gauche et plein à droite. Tandis que, dans le grenier sous ma coiffe, ça grignote. Depuis des lustres, cent cinquante-six générations de rats dévorent les archives entassées là par au moins vingt-six générations de greffiers. Et tout en bas, dans ma cave, un christ en croix de deux mètres de haut, de guingois contre un vieux mur, semble prendre sur lui toute la misère ruisselant des plâtres. Bienvenue à Bénipurain, au palais, dans mes entrailles.

2

Le président Savary arrive toujours à neuf heures. Pourquoi néglige-t-il l'ascenseur? Les escaliers l'essoufflent. Bah, j'aime autant : lorsqu'elle monte, cette fichue cabine d'ascenseur me chatouille désagréablement la cage – l'équivalent de votre œsophage, je crois. À peine posé sur le siège de cuir devant son ministériel bureau, Savary allume une cigarette. Son péché mignon ; il en grille une trentaine par jour, rien qu'en moi. Ce qui jaunit mes murs. Sa nicotine rentre dans le papier peint, même dans la pierre, à force. Ce matin, Savary grommelle :

— Putains de moines !

Un peu plus tard :

— À bas la calotte !

... tout en ouvrant son courrier. Il lit, à voix basse : « ... Et c'est pour toutes ces raisons, monsieur le président, que nous sollicitons de votre haute bienveillance la restitution au profit de notre ordre du christ en croix de Gustave Malbrecht selon les modalités qu'il vous plaira... bla... bla... bla... » Signé de la mère supérieure. Depuis quelques mois, cette statue empoisonne son existence. Il y a de cela deux siècles, les carmélites avaient dû l'abandonner dans la salle des offices – devenue salle d'audience correctio...
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