L'horizon, roman

Patrick Modiano

Gallimard

  • 29 mars 2010

    Un livre d'écrivain...

    Avec L’horizon Modiano donne une fois de plus un livre d’écrivain. Ça a l’air inutile de redoubler le mot livre avec celui d’écrivain. Les écrivains écrivent des livres, les livres sont écrits par des écrivains ! Non, car lorsqu’on lit un tel roman on fait la différence entre des livres juste écrits et des livres d’écrivain. Pourquoi ? Parce qu’il y a une coïncidence harmonieuse, même rigoureuse, entre le style et le propos. La phrase émane.
    De la phrase émane l’horizon de la réminiscence. La réminiscence flotte, elle a perdu ses pieds, elle vient de façon vague se poser sous forme de notes énumérées dans un petit carnet en poche par crainte d’oubli. Où était-ce ? Et quand ? A quel endroit ? Et pourtant la réminiscence vient, inattendue, par bribes à la fois incertaines et précises, elle a la force impalpable d’un nom, Mérovée, par exemple, étrange, un endroit, le nom d’une rue, un mot prononcé, une phrase « Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses », une station de métro, une ville. Ces lambeaux de souvenirs lointains arrivent devant, avec une évidence certaine. Bosmans se souvient un peu de cette époque d’il y a environ trente ans, il cherche à ordonner les souvenirs et revoir les scènes vécues. On passe avec lui du il Bosmans au je incident, nous partons ensemble dans le dédale des souvenirs d’une époque disparue, une femme y est au centre, étrange elle aussi, à cause de ce flottement du souvenir, grâce à la qualité d’étrangeté de l’amour oublié. Et c’est la peur qui fait sa place au sein de cette avancée du retour de mémoire. Oui, réminiscence de peur. L’ambiance est menaçante dans le souvenir, Margaret Le Coz avait peur, elle avait vingt ans et vivait dans la peur, elle est entourée de personnages douteux, plats, fantomatiques et si tendres.
    Ils étaient nés tous les deux quand leurs villes n’étaient qu’amas de décombres, « des lilas fleurissaient parmi les ruines ». Bosmans fait le trajet pour retrouver les traces de ce passé, le repenser, retrouver peut-être Margaret sans le vouloir vraiment ; il suit son fil de mémoire vivante et estompée. Ça s’impose à lui. Il est soumis à ce mouvement intime naturellement. Il retourne à Berlin où elle devrait se trouver, c’est là qu’elle est née. Dans une nappe menaçante et cotonneuse Bosmans fait le parcours. Après de multiples épisodes, à la fin il comprend qu’elle n’est pas morte. Alors « …il éprouvait pour une fois un sentiment de sérénité, avec la certitude d’être revenu à l’endroit exact d’où il était parti un jour… comme deux aiguilles se rejoignent sur le cadran quand il est midi. Il flottait dans une demi-torpeur… »
    L’horizon s’ouvre entre retour et disparition…
    Quand l’écriture renverse le lecteur vers là où il ne sait plus quel est son objet, il fond dans ce qui est écrit.